Christian Nana, président de l’Icom-Cameroun

Le président de l’Icom-Cameroun parle de la déclassification des archives, du rapatriement du patrimoine africain et des excuses attendues des pays colonisateurs.


Christian Nana, Vernissage expo-photo 819.Canada, Yaoundé, 26 juin 2020, Claudel Tchinda

Sur la question de la déclassification des archives comme de la restitution des objets d’art, le Cameroun est jusqu’ici resté mutique, pourtant c’est à Yaoundé que François Hollande avait annoncé la déclassification des archives. Est-ce un sujet délicat ou alors d’un intérêt secondaire pour votre pays ?
La question de la déclassification des archives, me semble, une question d’ordre général et très sensible parce qu’elle touche à des aspects très importants de la vie de notre pays, avant les indépendances. Et vous convenez avec moi qu’il y a beaucoup d’acteurs qui interviennent. Pour revenir à la déclassification proprement dite, telle qu’annoncée par le Président Hollande, cet acte n’aura pas que des impacts sur la France mais également sur certains acteurs nationaux. Ce qui justifie la délicatesse qui entoure cette opération. Notre souhait est que cette déclassification se fasse de façon apaisée et que les responsabilités de part et d’autre soient partagées. De même, nous allons inviter les populations à pardonner en France comme au Cameroun pour que l’harmonie soit préservée.

Dans plusieurs pays,  il est de plus en plus évoqué le concept de décolonisation. A ce sujet justement, l’Allemagne a lancé un courant important sur la question avec pour objectif la nécessité de partager, à l’endroit de sa population, le rôle joué par leur pays dans la colonisation. En parallèle, le projet propose de revenir vers les peuples victimes de l’oppression pendant cette période de l’histoire pour demander pardon et leur exprimer des regrets. Sauf que, nous autres professionnels du patrimoine estimons que la démarche n’est pas la meilleure. Nous y avons perçu une impression de folklore et de précipitation. Au préalable, il nous aurait semblé judicieux pour les différents gouvernements concernés par la question demandent officiellement des excuses, consignées dans des correspondances, pour les communautés qui ont subi des exactions, des oppressions afin que leurs descendants se sentent restaurés dans leur dignité. N’oublions pas que dans la même logique, et sur le plan spirituel, cet acte devait concourir à apaiser l’âme de leurs aïeuls. Cette digression sur la dimension de la décolonisation sert à démontrer que la déclassification autant que la décolonisation des archives fait peur. A la vérité, les craintes soulevées pourraient bien être dissoutes si l’on prend en compte le caractère hospitaliers des africains. C’est un peuple qui à, de tout temps, aimé le partage, les échanges. Et si la demande du pardon est exprimée, même si cela pourra être difficile, le pardon sera bien évidemment accordé.  

Des analystes attestent que, pour cette opération de restitution des biens, des contraintes administratives et juridiques doivent être réglées au préalable. Que faut-il en déduire ?
Permettez-moi de revenir sur le discours du président Emmanuel Macron à Ouagadougou en novembre 2017 où il a parlé de la restitution des biens culturels africains. Il a été à l’occasion fortement applaudi. Je pense que le président Macron est dans son rôle, sauf que ça ne se passe pas comme cela dans la réalité. Pour ma part, je pense que le président Macron a émis le souhait que la France puisse restituer des biens culturels aux pays africains, le Cameroun y compris. Mais vous savez, il y a des textes de loi qui encadrent ce genre de rapport entre les Etats qui empêchent que des collections ou des objets soient déplacés aussi simplement comme une commande passée à un magasin. On parle notamment, pour le cas de la France, de la loi de 1901 portant sur l’inaliénabilité qui fait que tout ce qui est entrée sur le territoire français fait partie de son patrimoine.

Il faut bien que des actions soient menées pour qu’au niveau de l’assemblée nationale française, certains instruments juridiques pour permettre à ce que de tels textes de loi soient levés pour donner l’opportunité aux Etats africains de revendiquer le patrimoine qui a été identifié dans chacun des pays européens et/ou américains. Cependant, il faut le dire, c’est aux Etats africains d’engager des actions de plaidoyer de lobbying. En considérant que le président Macron qui a déjà fait un mandant pourra être reconduit, il est difficile de savoir combien de temps ces actions de lobbying vont durer et il est du devoir des africains à l’engager sans plus tarder. Certains pays comme le bénin l’ont compris et l’on fait. Le travail préalable ici est de mettre sur pieds un groupe d’experts avec pour mission d’identifier les collections d’outre-mer et travailler avec les communautés pour permettre confirmer cette identification. C’est quasiment la même situation que nous avons avec les musées dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun. S’il n’y a pas de base de données, il va être difficile de savoir ce qui compose le patrimoine culturel.

Si un travail de terrain est effectué, on saura dans quelle région ou localité les œuvres ont le plus été emportées et quels sont les pourcentages approximatifs. Sur la base de ces éléments, un document de plaidoyer peut être produit. Ainsi, lorsqu’il s’agira d’aller identifier et revendiquer les objets en France par exemple, on dira que tel objet est parti de telle localité pour se retrouver ici. Que ce soit en Allemagne, en Belgique, etc.

Des spécialistes affirment que le patrimoine africain a été exporté à près de 90%. Y a-t-il des référence d’objet relevant de l’héritage culturel camerounais ?
Sur cette question, je puis vous assurer que des références existent. Il y a notamment le trône du sultan Bombo Njoya qui se retrouve au Musée ethnographique de Berlin, en Allemagne. Là aussi réside une question. Est-ce que ce trône qui se retrouve de ce côté est un cadeau offert à un administrateur, d’autant qu’il n’y a pas encore eu de réclamation. Çà, nous devons déjà le savoir. Nous pouvons également citer le tanguet de l’aïeul du professeur Kum’a Ndumbe III qui s’est retrouvé en Allemagne et qui a fait l’objet d’une revendication avec une forte implication des rois sawa et de l’association AfricAvenir International. En dehors de cela, il y a d’importantes collections rituelles qui ont également été emportées et ont fait l’objet d’identification.

J’apprends qu’un grand musée est en projet en Allemagne. Il serait destiné à promouvoir le patrimoine mondial. Je me suis interrogé sur le message auquel renvoi ce musée et je ne trouve pas encore de réponse. Cependant, il faut bien considérer que ce n’est pas aux européens de nous dire comment la restitution va se dérouler. On ne peut pas, après avoir emporté des trésors de notre patrimoine nous imposer la manière par laquelle ces éléments de notre patrimoine doivent nous être retournés. Il revient aux africains de définir comment ce patrimoine doit être restitué.

Le Bénin vient de négocier un plan de retour de ses objets qui pourrait se finaliser en 2020-2021, qu’en pensez-vous ?
Les africains devraient se mettre ensemble au départ pour le faire. Mais, tel que c’est parti, nos états devraient s’inspirer de la démarche béninoise afin d’adopter une approche personnelle qui devrait aboutir au rapatriement de notre patrimoine. Le Sénégal est sur cette lancé. Vous savez que le président Macky Sall a récemment offert espace muséal pour l’exposition des œuvres africaines. Ce qu’on ne dit pas assez, c’est que la plupart des colletions exportées sont des collections vivantes. L’Afrique est l’un des seuls continents à avoir un rapport privilégié avec ses collections. Ce sont des parties des communautés qui leurs étés amputées exactement comme lorsqu’un vous ampute un bras. La statuette Afo-A-Kom qui s’est retrouvée au États-Unis en est un exemple. Pendant la période où il fallait que cette statuette joue son rôle dans sa communauté, des répercussions se faisaient ressentir dans le musée où il était exposé. Ce qui a poussé les chercheurs à découvrir que pendant cette période, ladite statuette ressentait des vibrations et causait des dégâts dans le musée en question.

Nous entendons souvent des gens nous demander pourquoi on ne peut pas fabriquer d’autres masques. C’est faire preuve de naïveté ou feindre de ne pas savoir que ces objets ont des valeurs très importantes. Autant vous ne pouvez pas demander à un pape de laisser ses reliquaires et en fabriquer d’autre. C’est pareil pour les objets d’arts africains. On ne réinvente pas une spiritualité.
Au Cameroun, les choses n’ont pas beaucoup avancé. Les experts n’ont pas encore publié le manifeste de publier que chaque pays présente. Le Bénin l’a fait en mentionnant que tout ce qui a été identifié dans les différentes communautés soient rapatrié. Nous autres professionnels des musées attendons d’être associé à ce travail scientifique de base afin qu’un manifeste soit produit. D’ailleurs, d’autres corps de spécialistes doit aussi être associé à ce travail concernant les autres aspects liés à cette problématique.

Cependant, le débat fait rage sur les musées africains adéquats et disponibles à recevoir lesdits objets. Est-ce une véritable préoccupation pour l’Icom-Cameroun ?
L’Icom-Cameroun, en accord avec les professionnels des musées et des différentes communautés, est clair sur le sujet. Il faut tout d’abord restituer les biens culturels africains. Ce qui est sûr, dès qu’ils seront retournés, on fera le reste.

Propos recueillis par Claudel Tchinda