Azazou Show, conteur fourre-tout

"Ayant connu une enfance rude, j'ai décidé de suivre mon cœur pour soigner les blessures d'une adolescence carcérale où je n'avais pas le droit de faire ce que je voulais".


Show Azazou en plein spectacle

Comment te définis-tu en tant que conteur. Gardien des traditions orales africaines ou l'intermédiaire entre le savoir ancestral et la jeune génération?    
Je me définis comme un canal de retransmission de ce patrimoine culturel immatériel reçu lors de mon initiation à l'art du conte dans mon village (Nyamvoudou par Ayos ), les soirs de mon  enfance autour d'un feu de bois. Je me sens honoré à mon jeune âge de pratiquer une discipline artistique que l'on croyait appartenir uniquement aux vieillards. La jeune génération qui me suit à travers mes spectacles apprécie énormément ce que je fais. Un soir après un spectacle j'ai été approché par des jeunes qui m'ont avoué qu’ils n'avaient jamais vu un conteur sur scène de leur vie, n'ayant jamais été au village. Cela m'a énormément touché et m'a permis de réaliser à quel point j'ai encore du chemin. Le conte se transmet de génération en génération. Je considère la retransmission orale comme une obligation, un devoir de mémoire pour le conteur que je suis. Je partage ce que j'ai reçu des anciens pour assurer la pérennité de notre patrimoine. J'ai le devoir de semer la graine du rêve par mes récitals contés et de laisser mes traces aux générations futures.

Comment se porte cette profession à ce jour dans notre pays? 
Ne nous voilons pas la face, le conte se porte mal au Cameroun comme d'ailleurs d’autres disciplines artistiques. Le mal est plus profond pour le conte du fait de l'urbanisation qui provoque une cassure avec le monde rural. Nous faisons face aux concitoyens détachés de leurs valeurs traditionnelles ainsi qu’au manque d'éducation culturel des populations actuelles. Celles-ci confondent les contes aux comptes et les conteurs aux humoristes. On nous reproche des fois de ne pas être à la course folle du numérique comme le font les autres. Je n'ai rien contre les réseaux sociaux, d'ailleurs c'est un moyen de communication que j'utilise fréquemment, mais je refuse qu’on mesure la valeur d'un artiste, particulièrement celle d'un conteur au nombre de j'aime et de vue sur la toile. Le conte souffre d'un manque de reconnaissance et de considération car le plus souvent dans les événements de mon pays, on invite les musiciens et les humoristes mais rarement les conteurs. Peut-être parce qu'ils ont moins de fans.

Je me demande souvent pourquoi un conteur ne serait pas invité à dire un récit épique dans un grand événement sportif ou culturel au stade omnisports, au Palais de sport ou au boulevard du 20 mai ? Pourquoi les conteurs Camerounais ne sont pas nominés aux événements de récompenses ? Pourquoi les conteurs ne feront pas la une des campagnes publicitaires des grandes firmes ?  Je ne comprends pas pourquoi on néglige autant cette discipline au Cameroun. Mais je sais que les jours de gloire du conte sont proches dans ce pays quand on comprendra l'urgence de retourner là où tout a commencé.  Nous avons besoin du soutien,  de la reconnaissance des institutions publiques et de la société civile parce que le conte, c'est la base de notre culture. Un arbre ne se développe qu’à partir de ses propres racines. Malgré tout, les conteurs (euses) Camerounais ne se laissent pas faire. Abandonnés à nous-mêmes, nous  faisons de notre mieux pour laisser une voie à ceux qui viennent derrière nous à travers plusieurs initiatives telles que les spectacles, les tournées scolaires et les ateliers de formation dans le pays. C'est dans cette perspective que j'ai fondé le festival international du conte MINKANA en 2014 pour redorer le blason de cette profession au Cameroun. Nous avons organisé cinq éditions jusqu'ici malgré les moyens   limités, avec la participation des conteurs togolais, béninois, centrafricains, camerounais et français. Nous préparons actuellement la sixième édition du festival MINKANA en 2021, vivement la fin du coronavirus.

Quelle est la base du métier de conteur?     
La base, c'est la formation. Tout commence par l'apprentissage, puis la maîtrise et enfin la pratique. J'ai eu une formation traditionnelle de base où j'ai appris à conter en Yebekolo, ma langue paternelle. Ce fut également une grande école de la tradition de mon clan, des rites, des us et coutumes de ma terre natale. C'est un processus qui exige de la discipline et de l'humilité de la part l'apprenant. Des années plus tard, j'ai fait une formation théâtrale pour être un comédien professionnel et pratiquer ce métier. Au final, je suis un conteur fourre-tout en quête perpétuelle de mon identité en définissant la scène comme un carrefour des arts. Un élément très important à ne pas oublier, le conte c'est l'art par excellence de la rhétorique. Un conteur doit aussi être un beau parleur, un tisserand des mots. Mon métier me permet de jouer avec les mots et même de tordre le sens des mots, les déchirer pour les rafistoler à ma manière. De plus, ce métier demande beaucoup d'amour, de passion, de persévérance et de patience.

Considères-tu encore aujourd’hui le conte comme un métier?            
- Bien sûr! Je le dis à qui veut l'entendre que je suis un conteur et que je vis de mon métier. Je me rappelle un matin où j'allais payer mes factures chez mon bailleur qui recevait la visite d'un ami.   Mon bailleur a eu la bienveillance de me présenter à son invité qui au fil des échanges était surpris d'entendre que je payais mon loyer grâce à mon métier de conteur. Il ne s'est pas retenu, après avoir ri aux éclats, il a osé cette interrogation à voix haute : « sérieux! Il paye sa maison en racontant des histoires? ». Des exemples pareils, j'en ai plein. Peu importe les tracasseries, les ronces et les épines, je demeurerais conteur et je le suis à vie. Je suis fier de pratiquer ce métier qui me colle à peau et qui me tient par les tripes. Ce choix m'a éloigné de certains proches qui estiment que c'est rabaissant pour moi qui suis diplômé en sociologie et en management des entreprises touristiques et hôtelières. Pour ceux qui s’en souviennent, je fus major de ma promotion. Je ne regrette pas d'avoir pris mes distances avec ceux qui ne partagent pas ma vision. La bénédiction de mon père me suffit. Il m'a dit : mon fils, va et fais ce que tu aimes. J'ai décidé de faire ce que j'aime, de vivre ma propre vie et non celle que les autres ont voulu m'imposer. Contre vents et marées, Je reste moi-même et je suis heureux.

Comment es-tu arrivé au conte?    
Mes ancêtres l'on certainement décidé à ma place ! (rires). Bref, je ne sais pas ! J'ai été initié à ce métier tout petit au village, ne sachant pas ce que l'avenir me réservait. Après ma formation théâtrale, j'ai ressenti un vide dans mon essence artistique. Alors, je l'ai comblé avec le conte. C'est un parcours difficile à expliquer. Ayant connu une enfance rude, j'ai décidé de suivre mon cœur pour soigner les blessures d'une adolescence carcérale où je n'avais pas le droit de faire ce que je voulais.

Qu'est ce qui donne du charme à cette discipline?      
Ce qui me donne le charme dans ce métier, c'est le langage poétique et épique parfois hermétique et réservé aux initiés. C'est aussi le monde du rêve et de l'imaginaire où tout est possible. Ce métier me permet de rêver, de repousser mes limites et de croire que tout est possible comme les personnages de mes chantefables. Conter c'est rêver sans cesse, c’est vivre la liberté de penser.

Quel est le conte que tu aimes le plus jouer et pourquoi?        
Le mariage de Kulu la tortue ou la boule d'eau et la corde de fumée. C'est un conte que j’affectionne particulièrement, il nous apprend que la sagesse des uns s'achève où celle des autres commence.     
      
Quelles sont les relations que tu entretiens avec les acteurs d'autres disciplines ?
J’entretiens de bons rapports avec mes collègues d'autres disciplines. Je réponds présent à presque tous les événements culturels de ma ville de résidence (théâtre, conte, cinéma, mode, slam, conférence, dédicaces, expositions etc...). Je suis fou des arts et de la culture. En ce moment, je prépare la sortie imminente de mon documentaire autobiographique intitulé « J'ai le droit » dans lequel je raconte mon histoire, le rejet subi à cause de mon corps et je partage mon combat pour le droit à l'identité personnelle. Je donne ma voix pour un monde plus humain en tant qu’artiste et activiste.

Propos recueillis par Claudel Tchinda