Spécialiste des musée, Hugues Heumen, à l’instar de plusieurs de ses confrères, sont dubitatifs quant à restitution de la réalité qu’est le musée dans la nouvelle définition proposée par le Conseil international des musées.
Hugues Heumen Tchana, Directeur du Musée national du Cameroun, 2020. @hanoscultures.com
Que pensez-vous de la nouvelle définition des musées proposée par l’Icom ?
« Le musée est une institution permanente sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation ». La définition du musée proposée depuis 2007 par l'Icom fait référence dans la sphère muséale mondiale. Si la volonté de faire évoluer cette définition fait sens, la proposition du Comité pour la Définition du musée, perspectif et potentiel (MDPP) de l'Icom a surpris bon nombre de professionnels et d'institutions. Cette définition, inscrite dans le Code de déontologie – outil de référence des 44 000 membres dans 137 pays, disponible en 37 langues – a connu sept mises à jour en 73 ans. Celle mise en discussion à Kyoto date d’août 2007.
Qu’est ce qui justifie votre réticence face à cette évolution de la définition des musées ?
Cette « nouvelle » définition, la voici : « les musées sont des lieux de démocratisation inclusifs et polyphoniques, dédiés au dialogue critique sur les passés et les futurs. Reconnaissant et abordant les conflits et les défis du présent, ils sont les dépositaires d’artefacts et de spécimens pour la société. Ils sauvegardent des mémoires diverses pour les générations futures et garantissent l’égalité des droits et l’égalité d’accès au patrimoine pour tous les peuples. Les musées n’ont pas de but lucratif. Ils sont participatifs et transparents, et travaillent en collaboration active avec et pour les diverses communautés afin de collecter, préserver, étudier, interpréter, exposer et améliorer les compréhensions du monde, dans le but de contribuer à la dignité humaine et à la justice sociale, à l’égalité mondiale et au bien-être planétaire ».
Cette approche de définition est de nature à soulever bien des inquiétudes. En quoi les adjectifs « polyphonique et inclusif » désignent-ils spécifiquement un musée, plus qu’une salle de concert ou un stade ? Tout comme le bien-être planétaire, les conflits et la justice sociale : les musées doivent prendre leur part des droits humains, mais ceux-là leur incombent-ils en propre ? Les métiers des musées sont relégués au second plan (préserver, exposer...) et tous, nous nous demandons pourquoi cette réécriture dans l’urgence et pourquoi ces termes alambiqués – artefacts, spécimens – au détriment de tant de mots limpides, tels que : collections, institutions, public, développement, éducation… Pourquoi ôter toute notion du plaisir, pourquoi dessaisir les musées de leur rôle d’éducation ? Il va donc falloir, si l’on comprend bien, faire « dialoguer » - là encore un terme que nos nouveaux penseurs adorent, on fait « dialoguer » tout avec tout - les artefacts et les spécimens du passé avec ceux de l’avenir, ce qui va impliquer une nouvelle discipline pour le concours des conservateurs : la voyance. Les musées sont « participatifs », on l’a déjà vu mais ils doivent aussi être « transparents » sans que ce terme peu précis soit jamais défini. On s’interroge aussi sur « participatif ». Les visiteurs seront-ils amenés à compléter les tableaux ? Qui sont ces « diverses communautés » avec qui les musées doivent « travailler en collaboration active » ? On aurait aimé plus de précision.
Certains critiques ajoutent qu’en plus d’être par trop englobant, elle manque de contenu spécifique à l’identité du musée ?
Bien que cette définition ne soit pas déjà définitive, elle soulève plus de problèmes qu’elle n’en résout. Elle est, en tout état de cause, trop longue pour être une définition, c’est plus l’énoncé d’une vision, d’une mission, d’une feuille de route, ou même d’objectifs tels que des objectifs de développement stratégique. La définition du musée doit donc être courte, simple, contextualisée, dénaturalisée et décolonialisée.
Propos recueillis par Claudel Tchinda
Interview
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