Me Bertille Batang : « Il y’en a qui y travaillent depuis 30 ans sans immatriculation à la Cnps »


Bertille Batang, Journée internationale contre les monocultures d'arbres au Cameroun, Yaoundé, 21/09/2019, Hanoscultures

Quels sont les types d’abus que vous avez pu recensés lors de vos différentes descentes sur le terrain ?
De façon générale, commençons par cet aspect criard de l’accaparement des terres qui relève des abus fonciers. Secundo, nous avons noté des atteintes à l’environnement. Notamment la pollution des rivières, des nappes phréatiques. Tertio, nous avons également observé que des rues sont bouleversées et du coup, il n’y a pas d’accès à des points précis. Quarto, il existe des tranchées, des grands trous, que l’entreprise a creusé pour protéger ses plantations contre les animaux. Seulement, ces tranchées sont des grands pièges pour les populations qui y tombent.

Nous avons recensé des abus socio-professionnels. Les entreprises de monoculture emploient des milliers de travailleurs dans des plantations qui ne sont pas affiliées à la Caisse nationale de sécurité sociale. Au Cameroun, la norme veut qu’après huit jours, un employé soit affilié à la Caisse nationale de prévoyance sociale. Or, il y’en a qui y travaillent depuis plus de 30 ans sans immatriculation. Toujours dans ce registre, il est observé que les salaires qui sont versés aux travailleurs sont dérisoires et parfois en dessous du Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig). Des salaires qui ne n’équivalent ni à la charge du travail, ni au temps du travail. Par ailleurs, les pratiques telles que l’absence de bulletin de paie, la non prise en charge des risques professionnels. Et tout naturellement, du fait, en partie, de la non immatriculation des employés à la Cnps, les problèmes des droits des survivants (pension de survivants, pension de reversement). C’est ainsi que lorsque des employés décèdent, leur famille croupissent dans la misère et les enfants ne peuvent pas poursuivre leurs études.

Des cas d’atteintes physiques ont aussi fait l’objet d’une grande attention et de troubles de jouissance. Nous faisons référence ici aux vigiles desdites entreprises qui entrent indument dans les champs, des domiciles des riverains pour confisquer par exemple des moulins que les femmes utilisent pour presser leurs propres noix. Ce sont là des abus, des atteintes inacceptables qui méritent d’être condamnés.

Par vos observations, vous semblez indiquer que la première victime de ces conditions dégradantes, ce sont les femmes ?
Nous utilisons donc cette  plateforme pour sensibiliser, informer, dénoncer et dire à l’Etat s’il vous plaît, levons-nous pour valoriser notre sécurité alimentaire, donner la place à la femme d’être inscrite dans des grandes firmes. Vous le savez, les Objectifs de développement durable (Odd) plaident pour l’autonomisation de la femme, mais pour les riveraines des entreprises de monoculture, ce n’est pas le cas. Si une parcelle de terre est prise à une femme, c’est sa vie qui est prise. Sinon, avec quoi va-t-elle nourrir ses enfants ?

Quelles sont les actions menées par le Radd pour soulager ces populations ?
Le Radd propose des alternatives sur plusieurs domaines. Sur le plan économique, nous menons des activités de renforcement des capacités économiques des femmes. Elles s’investissent alors dans la production, la conservation et la transformation des produits agricoles (galette de manioc, les légumes séchés, etc.). Le Radd va au bout des localités pour former les femmes à s’autonomiser. En ce qui concerne le plan socioprofessionnel, le Radd accompagne les femmes et les communautés à la connaissance de leurs droits (droits fonciers, socioprofessionnels, environnementaux). Ensuite, le Radd a mené des actions en justice pour que des populations recouvrent leurs droits, pour que des personnes employées dans des entreprises bénéficient d’une reconstitution de leur carrière afin de jouir de la sécurité sociale. Sur le plan foncier, des plaidoyers sont menés. De plus, nous regroupons des riverains en associations pour être plus forts. Nous les accompagnons à briser le silence, parce que ce que ce combat est celui des populations. Nous leur disons brisez le silence, ne craignez pas, ce sont vos droits, réclamer les !

Propos recueillis par Claudel T.