Christian Nana, président de l’Icom-Cameroun

Le président de l’Icom-Cameroun fait un état des lieux du secteur des musées dans son pays.


Séance d'interview avec le Président de l'icom-Cameroun, Yaoundé 26 05 2020, Hanoscultures

Comment nait l’Icom-cameroun ?
L’Icom-Cameroun naît un an seulement après l’institution de la Journée Internationale des Musées par l’organisation Internationale des Musée en 1977. C’est dire que le Comité national camerounais voit le jour en 1978 sous la conduite du Pr. Joseph Marie Essomba. Il était l’ancien doyen de la faculté des Arts, Lettres et Sciences humaine de l’Université de Yaoundé 1. C’est lui qui, ayant participé à des colloques et autres conférences a reçu mandat de créer l’Icom-Cameroun. Il va alors monter un petit groupe qui va travailler sous sa coordination. Dès cette période, et quoique la tutelle ne soit pas assez impliquée, la Journée internationale des musées commence à être célébrée. Après la disparition du Pr. Essomba, Sa majestés Nana Agnès Sunjio reprend le flambeau de l’association et réussi à lui donner un statut juridique formel. Cela a été fait en 2003. Depuis 2004, nous avons continué de travailler et avons posé les bases de l’organisation. Le bureau de l’Icom-Cameroun, aujourd’hui ouvert dans une aile du musée La Blackitude travaille sereinement.

Nous avons jusqu’ici souhaité l’accompagnement du ministère en charge de la Culture. Nous avons par ailleurs engagé des démarches auprès dudit ministère afin de bénéficier d’un local, pourquoi pas dans un démembrement du ministère comme d’autres comités, dans d’autres pays. Nous avons eu l’assurance que le dossier en question est en étude et que nous pourrons bientôt recevoir une réponse.

La célébration de la Journée Internationale des Musées est en passe de devenir une tradition au Cameroun. En quoi a consisté cette célébration pour l’édition 2020 ?
Depuis cinq ou six ans, le gouvernement à travers le Minac s’implique véritablement dans la célébration de la Journée Internationale des Musées. Une fois de plus, cette année, le Minac et l’Icom-Cameroun ont collaboré pour l’organisation de l’édition 2020. Je ne vous apprends rien du contexte qui est celui de la lutte contre la pandémie du coronavirus qui affecte fondamentalement tous les secteurs culturels. Ce qui justifie que pour cette édition, nous nous sommes limité à des déclaration pour présenter l’état des lieux des musées et expliquer la thématique de la 43ème journée qui était : « Musées pour l’égalité : diversité et inclusion ». Cependant, nous comptons à l’avenir, compte tenu de la modicité des moyens du Minac, associer d’autres partenaires afin de donner à cette célébration un contenu plus attrayant et innovant.

Comment les musées du Cameroun survivent-ils avec les portent closes en raison des précautions de sécurité liées à la pandémie ?
C’est difficile. Je l’ai relevé à plusieurs occasions. Au Cameroun, c’est vrai qu’il n’a pas été demandé aux institutions muséales de fermer les portes. L’ensemble des mesures prises par le gouvernement ayant pour but de limiter la propagation du coronavirus. Les musées qui accueillent des visiteurs devaient à leur tour prendre des dispositions suffisantes. Nous ne pouvions pas exposer nos personnels aux contacts des visiteurs dont on ignorait les itinéraires. Mais aussi nous avions le devoir de protéger les visiteurs. Cette double préoccupation soulevée, l’Icom a demandé aux promoteurs de musées de ne pas prendre de risques. Nous leur avons suggéré de voir dans quelle mesure arrêter l’activité pendant un moment. Bien sûr que cette cessation temporaire d’activité a un coup. Notamment le personnel et la masse salariale, l’entretien des collections et autres dépenses. Or, vous savez que les musées au Cameroun n’ont pas de statut officiel et ne bénéficient pas d’appuis de l’Etat. De plus, le secteur muséal n’est pas régi par une règlementation. Vous pouvez donc comprendre dans quelle situation nous nous retrouvons, d’autant que le secteur de la culture subit de plein fouet cette crise sanitaire.

Il est vrai que des pistes de solutions sont proposées à travers le télétravail. Mais vous savez comme moi que les nouvelles technologies ne sont pas toujours la chose la mieux partagée. Peu de musée ont des sites internet. Peu de musées ont des pages dans les réseaux sociaux. Ils sont même très peu à disposer des bases fiables sur leurs propres produits. Honnêtement, nos musées ne sont pas encore outillés. Je dirais que nos musées sont sous assistance respiratoire. D’où la nécessité de soutenir les musées par une action des pouvoirs publics.

Vos propos laissent penser que l’avenir des musées camerounais est incertain ?
Tout comme moi, je peux vous dire que les professionnels des musées sont très inquiets pour l’avenir de leur activité. A travers l’enquête que nous avons réalisée en 2017 dans le cadre de la réalisation du répertoire des musées du Cameroun, nous avons pu nous rendre compte de la situation réelle de ces institutions. Nous étions déjà dans une forme de résilience. La question qui se pose aujourd’hui est celle-ci : est-ce qu’au sortir du Covid, les musées qui auront fermés temporairement auront les moyens de relancer les activités. Entretien des collections, entretien curatif de des objets endommagés.
Projetons-nous au-delà de Covid-19 pour nous attarder aux régions touchées par la crise socio-politique ainsi que les attaques de la secte Boko haram. Les collections des musées de ces régions qui ont été désertées ne seront-elles pas endommagées, d’autant que la majorité des musées de ces régions est construite en matériaux provisoires. Les objets qui composent les collections sont, pour l'essentiel, fabriqués en matériaux locaux périssables. Il y a un besoin de faire descendre dans ces zones de experts du patrimoine pour réaliser des enquêtes et publier des articles afin d’avoir une lisibilité sur ce qu’il y aura lieu de faire dans les prochains jours ou dans les prochaines années. J’ose croire que des actions seront entreprises pour sauver ce qui peut encore l'être dans les domaines du musée et du patrimoine.

Faut-il considérer que l’environnement socio-économique n’a pas favorisé la prise en compte suffisante des opportunités qu’offre le numérique ?
Lorsqu’on évoque la question de l’appropriation du numérique, il faut d’entrée de jeu se poser des questions élémentaires. Combien de musées camerounais ont un service dédié au patrimoine ou à la communication ? Il y en a très peu. Combien de musée se sont offert une connexion internet ? Combien sont-ils à maitriser la technique de 3 D puisqu’il est de plus en plus évoqué la possibilité des visites guidées virtuelles ? Combien sont-ils sur les réseaux sociaux ? Avec certains partenaires, nous avons essayé de monter de formations restreintes, mais la difficulté à les réaliser est que les formateurs invités pour ces formations puissent bénéficier des conditions minimales de travail. La vérité, c’est que personne n’est capable de payer ces formations. Et donc par simple déduction, il est d’évidence que malgré leur bonne disposition, il est difficile pour les musées de mobiliser des moyens supplémentaires afin d’investir dans les nouvelles technologies. Ce sont autant de frein pour l’appropriation des TIC et leurs adaptations aux musées locaux. Pour nous, l’urgence est la démocratisation de l’accès à l’internet dans le secteur muséal en particulier. Cette option permettrait de valoriser notre riche patrimoine culturel. Vous savez, la profession ne reste plus fermée avec les curateurs, les restaurateurs, les conservateurs, etc., elle s’ouvre à d’autres horizons professionnels en constante évolution. D’où l’enjeu de rechercher de partenaires et des financements en vue d’accompagner les musées africains, dans l’ensemble, à réussir à s’adapter aux mutations en cours afin de contribuer à une large diffusion du patrimoine africain.

Au-delà de l’implication, désormais plus visible du gouvernement dans l’organisation de la journée internationale des musées, quels sont les axes de collaborations privilégiés jusqu’ici ?
L’apport de l’Icom-Cameroun est très important. Que ce soit dans le suivi de l’activité des professionnels sur le terrain, que ce soit dans l’accompagnement qui peut être multiforme (le cas des nouvelles techniques muséales), dans la formation. L’Icom n’a pas seulement un rôle de régulateur, mais l’Icom va apporter également son expertise, va rechercher des partenariats pour le secteur des musées soit boosté et leurs actions un peu plus visibles. Le ministère des Arts et de la Culture, à travers sa direction consacrée aux musées entend travailler en étroite collaboration avec l’Icom-Cameroun et tous les autres musées. L’enjeu de cette collaboration est la valorisation du patrimoine camerounaise aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du Cameroun.

Entretien réalisé par Claudel Tchinda