Auteur-Compositeurs-éditeurs ne doivent rien attendre du futur bureau qui sera élu. Ils ont plus besoin de grands textes inébranlables pour protéger leurs droits que d’hommes providentiels.
Aimey Bizo, Expert en ingénierie culturelle, 2020
Quels sont les enjeux de l’élection du 21 novembre prochain à la Sonacam ?
Il existe à mon avis, un seul véritable enjeu pour cette élection qui est orientée vers une alternance à ce poste très convoité de PCA au Cameroun. A la lecture des propositions de gouvernance des candidats, un seul me semble idéal pour occuper ce poste. Voyez-vous, de nouveaux textes ont été adoptés le 21 novembre dernier et déjà, je constate qu’aucun des candidats dans leurs propositions, ne prend en compte ou n’intègre aucun élément probant allant en droite ligne avec les nouveaux textes. Or, sachant par expérience que les propositions n’engagent que ceux qui veulent se faire harakiri, aucun des candidats ne respectera ses promesses dans l’absolu. Les faits multiples étant connus d’avance : « blocages venant du haut lieu, installation de la mauvaise gouvernance, corruption, manque d’ambitions personnel et j’en passe ». De ce fait donc, la prochaine élection au poste de PCA a plus des allures de choix « tribal » que de choix au mérite, du choix de la meilleure offre de gestion.
Après tant de tribulations, quels sont les éléments qui donnent à penser que, cette fois, les artistes musiciens peuvent espérer en un bureau qui défend véritablement leurs droits, et sur la durée ?
Aussi bien hier que demain, les espoirs sont souvent de mises mais la réalité finie toujours par triompher. Comme dirait l’autre ... « chasser le naturel et il revient au galop ». Je ne sais vraiment pas pourquoi tous ceux qui sont élus à ces postes, apportent très souvent de belles paroles mais sans idéologie. Des paroles qui vont s’envoler après deux mois de présidence et je suis gentil, je devrais dire « dans l’euphorie de la victoire », les promesses seront déjà à vau-l’eau.
En fait, le Cameroun est l’un des rares pays au monde qui a connu de multiples sociétés de gestion collective depuis son indépendance. Donc, de la SACEM à la SONACAM en passant par la SOCINADA, la CMC et j’en passe. Le Cameroun a connu au moins cinq sociétés de gestion collective. Pour répondre simplement, je dirais que cette fois-ci encore, les auteurs – compositeurs et éditeurs ne doivent rien attendre du futur bureau qui sera élu à la prochaine élection. Ils ont plus besoin de grands textes inébranlables pour protéger leurs droits que d’hommes providentiels.
Pourquoi, selon vous, la société de droits d’auteurs de l’art musical a-t-elle régulièrement connue des difficultés de fonctionnement optimal ?
L’argent, l’argent et toujours l’argent… malgré ce que diraient bon nombre, au Cameroun, il y a beaucoup d’utilisateurs des droits moraux et des droits patrimoniaux dans nos villes et villages. Et par essence, chaque utilisateur est potentiellement redevable à l’auteur. Il doit adopter le principe même qui a donné lieu à la création de la gestion de ce droit.
Je vais édifier un peu vos lecteurs afin qu’ils comprennent l’essence du problème. Premièrement, les camerounais pensent que les droits d’auteur sont le salaire grâce auquel l’artiste-interprète devrait socialement vivre. Que non ! L’artiste doit vivre de son travail dont entre autres les spectacles. Deuxièmement, au Cameroun aujourd’hui, les redevances proviennent des sociétés qui exploitent les œuvres, notamment des sociétés de téléphonie, des sociétés brassicoles, pour ne citer que deux redevances primaires à travers la diffusion au niveau de leurs animations quotidienne et des temps d’attentes téléphoniques. Il y a aussi les multiples ventes à emporter, discothèques, cabarets, restaurants… La nouvelle équipe pourrait négocier avec le gouvernement afin que chaque bar, chaque boite de nuit ou cabaret paye une dîme qui sera fixe et qui pourrait directement être prélevée par les services des impôts et reversée dans un compte ouvert aux finances.
Qu’en est-il des droits d’auteurs sur les réseaux sociaux ?
Les réseaux sociaux sont des lieux de diffusion des œuvres de nos artistes-interprètes. Le nouveau bureau pourrait créer une division qui travaillerait à récolter ces droits qui représente une manne exceptionnelle et qui ne profitent pas à leurs ayants droits. Nous pouvons aussi interroger les retombées de la diffusion des œuvres musicales camerounaises à travers le monde, en se préoccupant de l’existence éventuelle des accords de réciprocité signés entre la Sonacam et les sociétés sœurs pour recouvrer les droits provenant de la diffusion de ces œuvres dans certains pays du monde. En poussant l’analyse plus loin, les devanciers de la Sonacam et elle-même ont-ils été membres de la CISAC. Je peux me tromper, la réponse est négative.
Les 10 propositions que vous formulez à l’endroit des candidats à cette élection mettent un accent sur la réorganisation des structures internes de la Sonacam avec un ancrage prononcé pour l’usage des outils modernes de communication. Quel peut-être l’impact de la prise en compte de ses observations ?
J’espère justement que le futur locataire de la maison ‘’droits d’auteur et droits connexes au Cameroun’’ saisira la balle au rebond afin de révolutionner la gestion de nos droits par la création d’un site Internet, la mise en place de façon progressive, d’une administration qui couvrira tout le Cameroun par le recrutement des responsables munis des feuilles de route quantitatives et chiffrées. Notre souhait est que par la création de ces structures, il puisse garantir l’avenir social de l’auteur-compositeur-éditeur bref, en un tout, qu’il utilisera les outils modernes de gestion d’une entreprise avant-gardiste, moderne et vivante. Nous sommes, bon sang, au 21ème siècle. Nous sommes en 2020 quand même. Toutes les sociétés s’adaptent, se modernisent et sont modulables, pérennes. Je fais juste des propositions, mais aurons-nous vraiment un président qui voudra mettre son égo de côté et travailler ?
Les premières remarques faites à l’issue de la lecture de vos propositions soulignent le risque d’avoir une Sonacam lourde et pléthorique. Qu’en pensez-vous ?
Bien au contraire ! L’organigramme que je propose permet de mettre sur pieds une société pérenne, viable et rentable mais surtout, une société qui aura pour leitmotiv, la rentabilité. Une société sérieuse qui va s’arrimer au monde. Une société qui ne va pas créer de l’argent (puisque nous savons où il est l’argent), mais qui ira chercher l’argent chez l’utilisateur comme tout professionnel du droit d’auteur sait que c’est là qu’il se trouve. Les utilisateurs sont répertoriés, multiples et diversifiés. C’est pour cette raison principale que le PCA va recevoir un mandat clair afin de mettre en place les mécanismes modernes de perception des droits des auteurs-compositeurs-éditeurs auprès des utilisateurs connus et les leurs reverser dans un compte y afférent, suivant la loi n° 2000/11 du 19 décembre 2000 sur le droit d’auteur et les droits connexes y compris son décret d’application n° 2001/956/PM du 1er novembre 2001 fixant les modalités de son application. Soit, 70% aux mandants.
L’effet pléthorique que vous constatez vient du fait que la SONACAM actuelle si je ne m’abuse, n’a ses bureaux qu’à Yaoundé et un bureau à Douala. Le Cameroun ne se limite pas à ces deux villes. Les diffuseurs des œuvres de l’esprit de ces deux villes payent-ils vraiment les redevances à la Sonacam ? Ma proposition est liée au fait qu’en employant du personnel professionnel et méritant, en mettant en place une politique managériale à peu près professionnelle, il y a une forte chance pour le futur bureau, de faire de bons chiffres d’affaires et donc, d’avoir du personnel déployé dans tout le Cameroun pour récolter les perceptions à reverser aux ayants droits.
Comment est organisé ce type de société ailleurs. Notamment en France où vous séjournez ?
Je réside certes en France mais j’ai été membre de la société Suisse du droit d’auteur – SUISA pendant plus de 15 ans. Cependant, la gestion de la SACEM est différente de celle de la SUISA. Simplement, ces deux structures n’ont pas le culte de la personnalité mais des textes. Ne vous faite pas d’illusion, la gestion de ces sociétés est aussi opaque. La SACEM est la seule société en France qui ne bénéficie pas du droit à la concurrence mais au moins, la vision des textes permet une gestion fluide aussi bien de la perception des droits que du devenir social des mandants par exemple. Prenons l’exemple sur ce qui marche, déployons la Sonacam à travers le Cameroun. Ce sera des emplois, des perceptions et le développement social des auteurs en plus, des actions culturelles importantes.
En France, la SACEM a un organigramme qui est visible en ligne, une gestion claire et un développement qui peut être contrôlé parce que, visible. Je propose que le futur locataire adopte une attitude plus professionnelle, qu’il ait une gestion du droit d’auteur et des droits connexes plus ouverte, claire et transparente. Qu’il adopte une politique de transparence avec les équipes sous sa responsabilité en mettant par exemple à la disposition des mandants chaque année, des documents sur lesquels vont figurer : les montants perçus, la provenance des perceptions, les utilisateurs insolvables et les répartitions faites. Le grand public et les membres du Conseil pourront, tous les ans, avoir un compte de gestion et un bilan super détaillé qu’il pourra même mettre en ligne. Nous savons qu’à chaque Ministre, sa société de gestion collective ou son Bureau. On est jamais assez prudent…
Propos recueillis par Claudel Tchinda
Interview
- Hits: 2571